L’histoire du mardi soir
(Extrait de journal en ligne, 2021).
A 16h, en début de récré, il s’est mis à pleuvoir. Nous sommes rentrées en catastrophe avec les enfants. Les autres classes sont allées regarder un dessin animé.
Je n’avais pas envie de dessin animé.
J’ai réuni mes élèves, encore en manteau, et j’ai lancé la formule magique de début de contée. Celle de ma grand-mère.
S. s’est illuminé. J’aime S.
J’ai raconté La Hyène et le Baobab. Il y a eu ce silence. CE silence, celui qu’on peut toucher. Il dit que nous sommes dans l’entre-deux des mondes, et que nous allons basculer.
A partir de là, tout leur corps a réagi à chaque mot. Les paroles s’envolaient de ma bouche et modelaient leurs visages et leurs rires. Du coin de l’oeil, j’ai vu la femme de ménage nettoyer en boucle la même table en riant sous son masque. Elle est restée dans ma classe jusqu’à la fin.
Je n’avais plus ressenti cette magie depuis… je ne sais pas, très longtemps.
Nous avons habité cette bulle de mots le temps de trois histoires, puis ils sont partis.
Quand je suis rentrée chez moi, j’avais de l’énergie, pour la première fois depuis… très longtemps aussi.
La magie est revenue, et elle tient toute entière dans l’espace d’un silence, dans l’entre-deux des mondes.