L’odeur du whisky

Quand mon meilleur ami prend un verre de whisky, il me le tend avant d’en boire. Je le respire. Je le sniffe, littéralement, et le lui rends. Jamais je n’y goûte. Le parfum suffit. 

Mon grand-père paternel s’appelait Georges. Il venait de la Bekaa, plaine enserrée entre deux chaînes de montagnes. Il avait l’accent rugueux des gens de là-bas. Très jeune, il est allé travailler au Mali. Il y tenait une mercerie dont j’ai gardé quelques fils et des tabliers à broder.

Je passais le plus clair de mon temps chez lui quand il n’y avait pas d’école. Le matin, il m’emmenait faire les courses à pied. Nous devions gravir un immense escalier pour accéder à la rue du haut. Je ne me souviens pas de la fatigue de l’escalier. Nous faisions ensemble le tour des commerces. Il s’arrêtait chez le boucher pour prendre des « oeufs de mouton », mon plat préféré d’alors. Je n’aimais pas l’odeur du sang, mais rien ne me dérangeait vraiment quand j’étais avec lui. Chez l’épicier, il m’achetait une barre de chocolat Lion. Il était fier de raconter aux uns et aux autres que je savais déjà lire ou que je chantais de mémoire tout ce que j’entendais. 

Dans la rue d’en bas, il y avait un mouton dans un petit enclos. Un jour il a demandé un peu de  laine de ce mouton et a fabriqué un fuseau pour m’apprendre à filer. Dès que mes mains ont su tenir une scie, il m’a appris à travailler le bois, pendant que ma grand-mère me montrait comment  broder avec les cotons DMC de la mercerie africaine.

On dit qu’il était colérique et qu’il avait mauvais caractère, ce que je veux bien croire. Avec moi cependant, il n’était que douceur et tendresse. Chez lui j’étais en sécurité. Je pouvais danser devant la télé et chanter à pleins poumons. Je pouvais passer des heures à rêver dans le placard à épices, mordre sans me cacher dans une tranche de gâteau ou faire des châteaux avec SON jeu de cartes, je ne risquais rien. 

A 20h, il se servait toujours un verre de whisky coupé de beaucoup d’eau et regardait le journal télévisé. Pendant le défilé d’horreurs des infos, je devais rester calme. Je grimpais sur ses genoux et me blottissais là, enveloppée de parfum de whisky et d’amour inconditionnel. 

Quand mon meilleur ami me tend son verre, je le sniffe et replonge dans les bras de cet homme-là. 

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Un Commentaire

  1. J’en ai les larmes aux yeux, merci ma bonne fée. Le Whisky a une saveur particulière pour moi car je l’ai humé, et brulé mes lèvres au pays de là-bas. Moi aussi, il me fait voyager.

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